La qualité du seeing, la stabilité atmosphérique, est le principal problème de l’observateur planétaire… loin devant les réglages de la caméra ou les paramètres des logiciels ! Voici cinq situations météorologiques simples à repérer qui offrent les meilleures chances de bénéficier de conditions idéales pour réussir ses images planétaires.
La prévision de la qualité du seeing est un exercice très difficile, et on a régulièrement des suprises, bonnes ou mauvaises. Je n’ai pas pour ambition ici de faire une étude exhaustive sur le sujet ;) mais de vous faire part de mon expérience, sur cinq situations météorologiques qui m’ont apporté le meilleur seeing régulièrement, au fil des ans.
1) Le flux d’ouest anticyclonique
Cette situation est clairement la meilleure pour moi, et autorise un seeing bon à absolument superbe. C’est celle que j’ai le plus souvent rencontrée.
Elle n’est, cependant, pas valable sur tout le territoire de France métropolitaine, et ne concerne sans doute que les départements de plaine situés sur toute la façade atlantique et celle de la Manche, jusqu’à 200/300 km vers l’intérieur des terres. Je l’ai noté aussi bien à Paris qu’à Nantes, même si elle est plus puissante à Nantes (où l’effet peut être magnifique). En effet, le bon seeing est ici apporté par des vents faibles, venant de la mer, peu perturbés par les obstacles terrestres.
Ici à gauche, l’exemple de la nuit du 15 au 16 septembre 2012 (archives GFS). Un anticyclone a gonflé au-dessus de l’océan Atlantique et s’est progressivement déplacé vers l’Europe centrale. Sa rotation s’effectue dans le sens antihoraire, et sur la façade Atlantique les vents tournent à l’ouest. En-dessous de la carte des pressions figure celle du courant-jet: il n’est pas très faible, mais il est plein ouest. Cette nuit-là, la stabilité d’Uranus sur l’écran de l’ordinateur était hallucinante, et l’image prise avec le Baader RG610 montre clairement une bande équatoriale et une bande polaire. Ce seeing exceptionnel s’est prolongé jusqu’au matin pour Jupiter…. Images prises à Nantes avec un Gregory 250 + PLA-Mx.
2) L’inversion thermique
On dit souvent que « le brouillard favorise les bonnes images » pour l’observation des planètes. En réalité, le brouillard n’y est pour rien… Comme le bon seeing, il n’est lui-même qu’une conséquence de la véritable responsable : l’inversion thermique.
En situation normale dans notre atmosphère, la température diminue avec l’altitude. Ce phénomène peut s’inverser dans certaines conditions lorsqu’un anticyclone stable et puissant stagne au-dessus de nos têtes : la température au-dessus d’une certaine altitude peut devenir supérieure à celle des couches situées juste au-dessus du sol. Dans cette situation, l’atmosphère est extrêmement stable et donne d’excellentes images télescopiques.
Malheureusement, l’inversion thermique s’accompagne donc fréquemment de la présence de brouillard… sans dommage s’il reste ténu, mais qui peut vite gâcher la fête en devenant de plus en plus épais.
Le brouillard étant le produit de la condensation de l’humidité bloquée dans les premiers niveaux, sous la couche d’inversion, sa formation est donc d’autant plus favorisée que les températures sont basses, et sa prévalence est donc plus importante durant les saisons froides, automne et hiver. A certains moments en hiver en Europe de l’ouest, il peut se produire ce que l’on appelle un blocage anticyclonique, quand un anticyclone se positionne pendant plusieurs jours, empêchant l’arrivée des perturbations atlantiques. Dans cette situation la probabilité de voir un épais brouillard se former pendant de longues journées est très importante.
Ci-dessus, situation de bloquage en décembre 2004, avec de larges plaques de brouillard sur la moitié nord de la France, qui rétrécissent peu en journée, et recommencent à s’étendre durant la nuit. Images GFS et Meteosat.
Ci-dessous des images de Mars prises le 18 novembre 2005, en situation d’inversion thermique. Le seeing était excellent, mais la transparence du ciel a commencé à diminuer de façon visible dès 10/11 H du soir. Pour la deuxième image enregistrée peu avant minuit et demi heure locale, la cadence de capture de la caméra était divisée par deux, à cause de la diminution de la transparence. Le lendemain, le brouillard était installé pour plusieurs jours… Images à Paris avec un Mewlon 210 + Lumenera 075M.
3) Le passage de dorsales anticycloniques
L’arrivée d’un anticyclone est toujours très attendu car on en espère de bonnes conditions, mais j’ai régulièrement été déçu par l’observation au sein d’un anticyclone directement positionné au-dessus du pays, car les facteurs qui favorisent le bon seeing sont un peu plus complexes que ça. Néanmoins, il y a une situation qui me semble plus fiable au niveau de la probabilité d’avoir un bon seeing en situation de hautes pressions, qui est le passage de dorsales anticycloniques.
Une dorsale anticyclonique est un prolongement de l’anticyclone des Açores (AA), mais ce dernier reste sur l’Atlantique sans se déplacer au-dessus de la France. Il s’agit d’un gonflement temporaire des hautes pressions entre le passage de deux dépressions atmosphériques. Le seeing est normalement bon dans cette situation car la dorsale vient de l’océan (elle est en rotation antihoraire autour du centre de l’AA et l’effet est alors similaire au flux d’ouest anticyclonique) et elle entraîne une forte diminution temporaire de la vitesse des vents et notamment du courant-jet polaire qui est obligé de la contourner.
Ci-dessous, situation dans la nuit du 28 février au 1er mars 2005 (carto MetOffice). La dorsale venait du nord cette fois avec de puissantes hautes pression descendant d’Islande (on était en plein coeur d’une belle vague de froid). La vue de la division de Cassini dans les anneaux de Saturne parfaitement ciselée sur l’écran de l’ordi était fascinante ! Pris à Paris avec un Mewlon 210 et un ATK-1HS (cliquez pour voir en taille réelle).
Evidemment le passage d’une dorsale a un inconvénient : il ne dure pas longtemps ! Il peut n’y avoir que quelques heures de ciel découvert. C’est donc une question de timing, car elle peut passer en pleine journée…
4) Le moment de l’aube et du crépuscule
Un des phénomène météo qui perturbe l’atmosphère et donc aussi le seeing, est la convection : les masses d’air chaudes s’élèvent et redescendent un peu plus loin, refroidies. Or, il existe deux moments dans la journée où la convection atmosphérique est faible : durant le crépuscule et l’aube. Cela n’arrive pas tout le temps, mais l’aube et le crépuscule sont deux moments où la température verticale des masses d’air tend à s’égaliser, alors que les sources de chaleur potentielles (le Soleil le jour et le sol la nuit) ne sont plus ou pas encore actives. Observer juste après le coucher du Soleil, ou juste avant, permet régulièrement de bénéficier d’un meilleur seeing qu’en pleine nuit. Parfois même le seeing est superbe, et avec le fond de ciel bleu, les contrastes et les couleurs s’adoucissent, fournissant à l’observateur des vues très particulières sur les planètes (ou la Lune).
Cette situation arrive bien entendu lorsqu’une des trois premières « bonnes conditions » prévaut, mais je l’ai déjà vu se produire alors que le seeing nocturne était nettement mauvais.
Ci-contre à droite, Jupiter dans les lueurs de l’aube le 12 août 2012. Le fond de ciel illumine la couche bleue… Pris avec un Gregory 250 + PLA-Mx.
5) L’arrivée d’un front froid
Enfin, je fais mention d’une situation météo favorable au bon seeing qui est assez connue, mais je n’en parle qu’en dernier parce qu’au final, je n’en ai profité que rarement : l’arrivée d’un front froid. Le front froid est la limite entre une masse d’air froid qui descent des régions polaires, et une masse d’air plus chaude. C’est ce front qui véhicule principalement la pluie et les nuages. L’air froid avance en soulevant l’air chaud qui est en avant (puisque celui-ci est plus léger). Il se produit donc peu de temps avant l’arrivée du front une inversion thermique, comme celle exposée au point 2), ce qui arrête momentanément la convection atmosphérique, et l’atmosphère est plus stable.
D’expérience cependant il est rare (au moins à l’ouest de la France…) que l’avant d’un front soit suffisamment dégagé pour que l’on puisse bénéficier de conditions météo propices aux observations. J’ai plutôt tendance à surveiller les conditions météo précédentes !